Авторитетное французское издание «Le Monde» вышло с большой статьей о «Расследовании КАРАГОДИНА«: «Russie : le combat contre l’amnésie historique de Denis Karagodine, enquêteur-citoyen«.
Наша традиционная (и уже любимая) рубрика: русский крестьянин на страницах французской печати! На этот раз в Le Monde:
Denis Karagodine combat l’amnésie organisée par l’Etat russe dans une parfaite solitude ; la machine s’est retournée contre lui, avertissement envoyé à tous ceux qui ont fait de la recherche historique une question vitale pour eux-mêmes et pour leur pays. https://t.co/DbRFkze16k
— Le Monde (@lemondefr) June 10, 2021
Смотрите тажке и в Instagram издания.
Russie : le combat contre l’amnésie historique de Denis Karagodine, enquêteur-citoyen
Denis Karagodine combat l’amnésie organisée par l’Etat russe dans une parfaite solitude ; la machine s’est retournée contre lui, avertissement envoyé à tous ceux qui ont fait de la recherche historique une question vitale pour eux-mêmes et pour leur pays.
FACTUEL | Depuis dix ans, le publiciste de Tomsk mène des recherches sur la mort de son arrière-grand-père, exécuté par la police politique en 1938, puis réhabilité. Mais la machine judiciaire s’est retournée contre lui.
La Russie n’a pas connu son « Nuremberg du communisme », a-t-on coutume de dire, autrement dit de grands procès sur les crimes du régime soviétique. Certes. Mais elle a Denis Karagodine et ses enquêtes de Tomsk. La comparaison, évidemment osée, ne déplairait pas à cet homme de 38 ans qui aime jouer de son statut de quasi-rock star. Surtout, elle montre la fragilité et la timidité du travail de mémoire en Russie : Karagodine combat l’amnésie organisée par l’Etat russe dans une parfaite solitude ; depuis peu, la machine s’est retournée contre lui, avertissement envoyé à tous ceux qui ont fait de la recherche historique une question vitale pour eux-mêmes et pour leur pays.
L’histoire commence sur un malentendu, un coup du sort – le projet d’émigration de Denis Karagodine. En 2011, ce natif de Tomsk, en Sibérie, songe au départ. La crise de 2008 est passée par là, ses affaires (il a travaillé dans la publicité et acheté des cafés) ne sont pas au mieux ; le retour de Vladimir Poutine à la présidence bouche l’horizon politique. En mettant à jour ses papiers, Karagodine tombe dans l’armoire familiale sur un document poussiéreux : le certificat de réhabilitation pour « absence de crime » de son arrière-grand-père, daté de 1955. En clair : le paysan russe Stepan Ivanovitch Karagodine, né en 1881 et exécuté en 1938, n’était pas le chef d’un réseau d’espionnage japonais démantelé par le NKVD, la police politique.
C’est le début de « l’enquête Karagodine », que Denis, diplômé en philosophie, attaque de la plus simple des manières. Le jeune homme toque à la porte du FSB, le successeur du NKVD, et déclare au planton : « Je viens pour un meurtre. » La suite est plus complexe. Durant quatre ans, Denis Karagodine bataille auprès du FSB et des autorités judiciaires pour obtenir les documents lui permettant de reconstituer la vie et la mort de son ancêtre.
L’enquête est obstinée et son compte rendu minutieux : sur son blog, Karagodin.org, le publiciste raconte chaque démarche, chaque échec, chaque victoire. Tout est cartographié, détaillé. Chaque personnage de son grand récit, fut-il « secondaire », a droit à son entrée, sa biographie est reconstituée grâce à des dizaines de documents que Karagodine met en ligne.
Des sites russes puis étrangers parlent de lui, le public se passionne. Sa quête a beau être intime et familiale, elle a une dimension universelle évidente, qui a le pouvoir de parler à de nombreux Russes. Et Karagodine en est un formidable représentant : intarissable sur ses recherches, qu’il décline en podcasts, articles, il cultive le mystère sur sa personnalité.
« Au début, je recevais des lettres d’habitants de Tomsk et de la Sibérie, puis de toute la Russie et enfin du monde entier, raconte-t-il. Des gens qui voulaient me féliciter, mais aussi beaucoup qui demandent de l’aide dans leurs propres recherches. Et pas seulement concernant les années 1930 [de 600 000 à 800 000 personnes furent exécutées pour les seules années 1937-1938, des millions d’autres envoyées au goulag], mais aussi les années 1920, 1950… »
En 2016, il touche au Graal : après des refus à répétition, Denis Karagodine reçoit du FSB de Novossibirsk un document-clé, qu’on lui avait décrit comme inexistant – l’ordre d’exécuter trente-six habitants de Tomsk, le 21 janvier 1938, sur lequel figure le nom de Stepan Karagodine, mais surtout ceux des donneurs d’ordre et des exécutants. Trois noms, ceux que l’arrière-petit-fils appelle « les bourreaux ».
Sauf que l’homme, au lieu de crier victoire, ne voit là qu’une étape. D’abord, il manque dans son enquête de nombreux personnages et connexions. Il lui faut reconstituer toute la chaîne de commandement, depuis les simples gardiens de prison jusqu’à Joseph Staline et Nikolaï Iejov, le chef du NKVD. Ensuite, Karagodine ne veut pas seulement la vérité historique mais aussi la justice. S’il y a eu meurtre, un juge doit être saisi. « Nuremberg aussi était une addition de procès distincts », fait-il valoir.
Un signe de la difficulté de cette quête ? Depuis des années, des tissus et des ossements affleurent sur le site présumé d’exécution, à proximité de ce qui est resté l’une des prisons de Tomsk. Jamais la moindre autorisation n’a pourtant été accordée.
En réalité, le vent a même franchement tourné, depuis que Karagodine a débuté son enquête. La tendance n’est pas vraiment nouvelle : le pouvoir politique, sous l’impulsion de Vladimir Poutine, met autant d’acharnement à valoriser les morts de la seconde guerre mondiale qu’à taire ceux du goulag et des répressions. L’histoire n’est plus qu’un instrument au service d’un récit national glorieux, qui ne tolère la notion de souffrance que si celle-ci a été infligée de l’extérieur. S’il le faut, elle doit être réécrite et « protégée » par la loi. Parler des victimes est encore toléré ; les bourreaux, eux, sont réhabilités, à commencer par Staline.
Karagodine le constate à son échelle : « Toutes les brèches que nous avions ouvertes ont été refermées. Dans toute la Russie, maintenant, le FSB interdit que soient donnés les noms de collaborateurs du NKVD. Les documents qui sont encore accessibles sont expurgés. A Novossibirsk, pour m’empêcher d’avoir accès à un document, ils ont été jusqu’à fermer un bureau d’archives entier et à licencier son directeur… »
En 2016, Denis Karagodine avait reçu une lettre de la petite-fille d’un des exécutants de 1938, une demande de pardon émue. En mars 2021, le ton est différent. Sergueï Mitiouchov, fils d’un inspecteur du NKVD mort en 1967, dont le nom apparaît sur l’acte d’exécution, a déposé plainte contre le chercheur, l’accusant de diffamer son père. Au même moment, une autre plainte est déposée par un habitant de Riazan pour « diffusion de données personnelles ». Dans le message qui accompagne sa plainte, cet ancien militaire précise que, selon lui, seulement de 5 % à 10 % des tués de 1938 l’ont été à tort. Des mots qui font écho à ceux d’Alexandre Bortnikov, directeur du FSB, qui, dans une interview en 2017, assurait qu’une « part significative » des dossiers traités en son temps par la police politique « avaient objectivement un aspect criminel ».
Karagodine se dit « ravi » par ces poursuites : « On s’y attendait et ça va dans le sens de nos intérêts. Tout ce que je demande, c’est qu’un juge se saisisse de mes découvertes. Maintenant, la justice ne peut plus les ignorer. » Pour le reste, le chercheur amateur, qui prépare un doctorat en philosophie, prétend ne pas se mêler de la politique mémorielle de l’Etat russe, ou de la façon dont cette amnésie organisée pourrait influer sur la psychologie collective russe : « Je comprends les implications de mes recherches pour la Russie et pour l’histoire mondiale, mais je m’occupe exclusivement du meurtre de Stepan Karagodine et de ceux qui l’ont organisé. »
Reste que la menace est réelle, pour Denis Karagodine comme pour son site. Au fil des ans, Karagodin.org est devenu plus qu’un simple outil de recherches. Il ressemble à un musée virtuel d’une précision et d’une exhaustivité inouïes, dans lequel le visiteur peut errer des heures. Et tout comme d’autres musées russes sur le goulag ont dû cesser leurs activités, ceux-là aux murs de brique et de béton, il pourrait se voir contraint de fermer.
Оригинал: «Russie : le combat contre l’amnésie historique de Denis Karagodine, enquêteur-citoyen» – Par Benoît Vitkine – [Publié le 10 juin 2021 à 11h29, mis à jour hier à 08h32] – Le Monde.
Последнее обновление: Суббота, 12 июня, 2021 в 08:16
Помогите расследованию продолжать работу в экстремально сложных условиях современной России
Любой комфортной для вас суммой: в ₽, $, € или криптовалюте — с Вашей поддержкой сделаем больше!